HAITI – Le créole plutôt que le français dans les écoles haïtiennes ?

L’élève de 5e Kervenson Succès lit un le livre d’un élève-auteur, « A Cure for Being a Pest, » imprimé en créole, français et anglais (Amy Bracken via Global Voices)

by Gaelle Tjat December 29 2014, 19:02

Le créole plutôt que le français dans les écoles haïtiennes ?
Public Radio International, Traduit par Gaelle Tjat
Lu sur Rue 89

Frandy Calixte est un jeune garçon de 11 ans qui vit dans un petit village de Lagonav, île sujette à la sécheresse en Haïti.

Assis à l’extérieur de leur maison en compagnie de sa mère, qui est par ailleurs son enseignante, il me dit qu’il aimerait être infirmier quand il sera grand. Mais sa mère le corrige :

« Médecin », dit-elle, et il rectifie ses propos.

Presque tout le monde à Lagonav est agriculteur. L’enseignement supérieur est pratiquement inconnu. Mais Calixte résiste à la tendance en allant dans un autre type d’école : la Matenwa Community School, juste en dessous du chemin rocailleux menant à la maison de Calixte.

Matenwa brise également les normes de l’éducation haïtienne. Au début de chaque rassemblement, les élèves se lèvent et partagent les plus et les moins de leur école – une leçon qu’ils ont appréciée, ou le comportement déplacé de leurs camarades ou bien même des enseignants.

En classe, les élèves s’asseyent en cercle, suivant la philosophie de l’école qui voudrait que chaque élève soit vu, entendu et traité avec respect.

Il est un autre élément essentiel dans la méthode pratiquée par l’école nous dit le personnel : enseigner aux élèves dans leur langue maternelle, le créole, plutôt que le français.

On estime à 5% la la population haïtienne s’exprimant couramment en français, pourtant, c’est toujours la langue utilisée dans les manuels financés par le gouvernement.

La mère de Calixte, qui s’est donnée pour titre Madame Frantz Calixte, explique :

« Quand j’étais à l’école, je n’ai jamais vraiment appris le français. »

Quand je lui demande comment elle a fait pour réussir à l’école, elle rit. « Je n’ai pas vraiment réussi mes examens », répond-elle.

Mais et ton fils ? « Ils apprennent mieux que moi je ne l’ai fait » dit-elle.

Abner Sauveur, qui a grandi dans le village de Matenwa, a aussi suivi un cursus francophone, bien qu’il soit incapable de comprendre quoi que ce soit. Quand les enseignants étaient frustrés par la barrière de la langue, ils s’en prenaient – au sens propre du terme – à leurs élèves.

« A la manière dont j’ai été battu à l’école, j’ai compris que le système était mauvais. Personne ne peut étudier dans ces conditions. »

Sauveur n’a jamais achevé le secondaire. Mais, en 1996, lui et l’enseignant américain Christ Low ont cofondé l’école Communautaire de Matenwa afin de fournir une « éducation qui permette au peuple de réfléchir et partager leurs idées, dit-il, une éducation qui leur offre un meilleur apprentissage ». Faire usage du créole était une nécessité.

Matenwa utilise le créole durant toute la formation et dans les manuels jusqu’en 3ème, classe dans laquelle le français est introduit comme seconde langue. Après la 3ème, les manuels des matières comme la géographie et l’histoire sont tous en français, simplement parce que ces livres ne sont pas encore disponibles en créole.

Les fondateurs de Matenwa espèrent qu’un jour, tous les livres seront disponibles en français et en créole. Pour les classes inférieures, l’administration collecte des fonds pour acheter des livres en créole et les élèves collectent le leur.

Mais de nombreux parents continuent de croire que le français reste la langue de l’éducation, même pour les élèves de la maternelle. Son orthographe et sa grammaire sont mieux introduits que le créole, et la croyance selon laquelle le plus tôt ils sont exposés au français, le mieux ils l’appréhenderont, persiste – même s’ils ont du mal au début.

Sauveur se souvient :

« Lorsque nous avons lancé Matenwa, c’était vraiment difficile. Des parents annulaient l’inscription de leurs enfants parce que nous dispensions les cours en créole. »

Mais dit-il, ces parents ont ramené leurs enfants à Matenwa. Aujourd’hui, la classe politique, le premier ministre en tête de file, en appelle à plus d’éducation en créole, et certains surnomment Matenwa le modèle.

Jonès Lagrandeur, le superintendant de plus de 200 écoles de l’île de Lagonav, était aussi contre l’éducation en créole au début.

« Eien sûr ! Nous avons été élevés différemment. Ensuite, nous l’avons mieux appréhendé. J’étais sceptique, mais maintenant, je suis un fan de la première heure. Depuis l’arrivée de Matenwa, nous avons tourné une page de l’histoire. »

Matenwa offre également une formation en « langues maternelles » aux enseignants à travers le pays, mais travaille principalement avec les écoles voisines. Lagrandeur affirme que c’est la raison pour laquelle l’île a enregistré son score le plus élevé aux examens nationaux cette année.

Michel DeGraff, un linguiste haïtien au MIT, dit que les tests prouvent que les compétences en lecture des élèves créoles de Matenwa sont trois fois plus élevées que la moyenne de 84 écoles testées par la Banque Mondiale…

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Publié le 29 décembre 2014, dans Amérique Latine, Droits humains, Education, Haïti, et tagué , , , , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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